Cher Orwell, j’ai bien reçu ta lettre


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    Mon cher Orwell, j'ai bien reçu ta lettre, mais je pense qu'elle est obsolète.
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    Très cher Orwell, j’ai bien reçu ta lettre numérotée 1984, mais je pense qu’à cause de la situation dans laquelle je suis, elle arrive avec un léger retard en ce 7 mai 2020. Je l’ai lue attentivement, même si je trouve des choses à redire. Je pense que la société pour laquelle tu m’as préparé est bien loin de celle dans laquelle je vis aujourd’hui. Le télécran n’est pas du tout obligatoire, on se bat pour en acheter.

    Mais surtout, c’est l’apathie des gens qui détonne avec ta lettre. Dans ta société, ils étaient forcés, par un matraquage systématique de faire ce que le système voulait d’eux. Aujourd’hui, c’est quasiment la même chose, la délation est récompensée, la haine et la médiocrité sont des vertus cardinales. Le système de ta lettre était tellement corrompu qu’un système sain était impossible à imaginer. On est dans la même trempe où l’honnêteté, la sincérité, la naïveté sont considérées comme des tares, devant être combattues par toute la férocité du bagne et des mutilations physiques.

    Tu m’écris que ta lettre date de 1949, mais qu’elle est destinée à tes enfants et des petits-enfants en 1984. Toutefois, si tu peux m’écrire de nouveau, j’aimerais t’expliquer une situation qui est arrivée à certains de tes petits-enfants en 2020. Je pense que tu pourras comprendre, car en 1949, tu as eu une épidémie de polio avec une certaine ardeur de la panique. J’ignore pourquoi tu n’en pas parlé dans ta lettre, peut-être que tu ne pouvais pas comprendre les implications d’une société malade, utilisant des maladies imaginairo-exagérées, pour exercer un pouvoir plus grand.

    Je t’apprends qu’en 2020, on a une petite grippe. Elle pouvait être vilaine, mais bien moins que celle que tu as connue, l’année de ta lettre. En l’espace de quelques mois, le monde est devenu fou à lier. La Novlangue a cédé le pas à la Hainelangue, le mépris des gouvernements envers leurs peuples s’est exprimés sans aucune honte, sans vergogne et avec une délectation sadique d’un psychopathe qui torturerait une jeune fille apeurée, enfermée depuis des mois dans une fosse face à quelqu’un qui danse tout nu.

    Ta lettre m’avait prévenu de me méfier du Ministère de la Vérité, de l’Information, des Télécommunications, de l’Intérieur, mais elle ne disait rien de la méfiance nécessaire envers les blouses blanches. De véritables pustules sur patte qui ont acquis un pouvoir démesuré, mais qui résonnent par une ignorance aussi crasse que corrompue. D’abord, ils ont enfermé le monde entier, ensuite, ils nous ont imposés comment se laver, se vêtir, comment marcher et comment respirer.

    Le télécran dont tu parlais est bien présent, mais il l’ont miniaturisé et appliqué un vernis pour qu’il fasse beau en tenant dans notre poche. Le télécran miniature nous surveille en permanence, s’éteint rarement et quand il le fait, garde tout en mémoire. Ce n’est pas qu’on nous l’interdit de l’éteindre, mais qu’on ne le veut pas, la lumière bleue des avertissements et des offres juteuses est passée par là. Il enregistre le nombre de nos pas, les battements de nos coeurs, il nous dit comment sourire, comment grimacer, comment pleurer.

    Les blouses blanches, pour lutter contre l’épidémie, nous forcent à leur donner ce télécran, pour qu’ils puissent nous examiner, nous sonder dans tous les sens, en ricanant sous cape, comme des putois enragés, de nos vicissitudes et des tréfonds lubriques et sombres de nos âmes. Mais il y a pire, Orwell, désormais, ils veulent stocker indéfiniment notre ADN. Malheureusement cher Orwell, tu es mort avant la découverte de ce truc, car je pense que tu aurais l’intégré dans ta lettre. L’ADN, qu’on pourrait appeler comme Arme de Domination Nocive, est une pièce dans notre corps qui est impossible à changer, à falsifier et à cacher. Nous en laissons partout, quand nous transpirons face aux cris féroces des blouses blanches, quand nous crachons sur eux, quand nous versons leur sang quand ils versent le nôtre.

    À cause d’une petite grippe, ils veulent stocker notre ADN dans d’énormes armoires magiques, qui sont connectées à des câbles magiques, qui permettent à tous les ricaneurs sous cape de voir qui nous sommes vraiment. Vendant notre structure profonde, comme des grammes de viande hachée, comme un boucher qui a trouvé la viande la plus succulente au monde et qui sait que tout le monde viendra l’acheter. Pire encore, ils ne nous demandent rien, aucun consentement, car ce que j’ai oublié de te dire qu’avec cet ADN, on peut savoir toutes les maladies que tu as eues, celles que tu as et celles que tu auras.

    Cette mine d’information, ils ont mis la main dessus à cause de cette épidémie, on ne peut rien faire. Les armoires magiques sont barricadées par des cerbères en robe noire dans des horizons trop lointains pour nos petites mains. Et quand certains chanceux arrivent à mettre la main dessus, les cerbères utilisent un droit dont l’auteur est leurs maquereaux tyranniques pour nous empêcher d’utiliser, prétextant notre signature comme preuve d’un pacte qui est bien pire que celui avec le diable.

    Ta lettre m’a donné des moyens de combattre les télécrans et la Novlangue, mais elle est inefficace contre l’emprisonnement de notre structure profonde. Car tu peux changer de nom, d’adresse, d’apparence physique, de sexe, mais ton ADN, il est éternellement le même jusqu’à la fin des temps. Ils nous ont eus, Orwell, ils ont trouvé quelque chose de nous à emprisonner auquel on ne peut pas échapper. Ta lettre m’a appris des choses, mais j’aurais aimé vivre dans la société que tu décris, elle n’était pas si mauvaise.

    Ta lettre est arrivée en retard, je le sais, mais j’ai reçu une autre lettre en même temps d’un certain Huxley. Peut-être qu’il m’apprendra quelque chose pour combattre cette tyrannie qui vient à peine de commencer.

    Houssen Moshinaly

    Rédacteur web depuis 2009 et webmestre depuis 2011. Je suis également un blogueur dans la vulgarisation scientifique et la culture.

    Je m'intéresse à tous les sujets comme la politique, la culture, la géopolitique, l'économie ou la technologie. Toute information permettant d'éclairer mon esprit et donc, le vôtre, dans un monde obscur et à la dérive. Je suis l'auteur de deux livres "Le Basilic de Roko" et "Le Déclin".

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