Madagascar : Vol au dessus des berceaux


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  • Entre la disparition d’Air Madagascar, l’ITG, des carnets biométriques, l’actualité reste chargée, mais ressemble souvent à des illusions pour cacher les vrais problèmes du quotidien.


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    Les cosmopolites et ceux qui prennent le vol Tana-Paris sont fous de joie. Après 2 ans, ils pourront enfin quitter le bled et retourner auprès des civilisés. L’ouverture des frontières est effective et on nous dit que les vols sont plein jusqu’à la fin de l’année. On n’est pas surpris de l’empressement de ces “gens” à demander la vaccination, notamment le Janssen qui ne protège pas vraiment contre le covid, mais vous permet de voyager à l’étranger. La vaccination suit également son cours et il est assez surprenant que le gouvernement promeuve davantage le vaccin Janssen plutôt que le Sinopharm. Surprise relative, car le Janssen, le gouvernement l’achète avec les 100 millions de dollars fournis par la Banque Mondiale tandis que le vaccin chinois est gratos…

    Mais ces dernières semaines, l’actualité a été marqué par l’affaire d’Air Madagascar. Clouée au sol depuis 2 ans, une dette de 70 millions de dollars, mais surtout une gestion catastrophique depuis 30 ans. De nombreuses compagnies aériennes étrangères ont fait faillite et n’ont pu être sauvé que par l’aide de l’Etat. Air Madagascar a déclaré la faillite et elle va fusionner avec Tsaradia, sa filiale pour les vols régionaux, pour devenir Madagascar Airlines. Et j’ignore qui a trouvé ce nom, mais il est d’une laideur absolue. Un marketeux a deux balles, formé à la pensée américaine, pensait qu’angliciser une compagnie historique, permettrait de la sauver.

    Air Madagascar a fait partie de l’histoire de Madagascar depuis 1962. Elle a toujours eu des hauts et des bas, la pire crise en 2002 en pleine tourmente politique. Mais l’entreprise s’est redressé dans les années suivantes. Air Madagascar a dû louer un avion pour s’adapter “aux normes européennes” ce qui l’a plongée dans une dette immense et a dû fusionner avec Air Austral. Cette dernière a laissé tombé l’affaire en 2017 et aujourd’hui, Air Madagascar appartient principalement à l’Etat malgache via la Cnaps et une participation d’Air France.

    Air France, Air Mauritius, Air Italia, ce sont des noms qui marquent et qui symbolisent l’histoire d’un pays. En supprimant Air Madagascar, les éminences grises derrière Madagascar Airlines ne se rendent pas compte de ce qu’ils ont fait. Comme s’ils avaient honte de l’histoire de cette entreprise qui est à l’image du pays, chaotique, pauvre, branlante, mais qui arrive toujours à redresser la tête. Un gouvernement, qui a fait de la malgachisation comme l’une de ses priorités, va donc choisir un nom anglais pour être le fer de lance de son pays. Cela veut dire beaucoup de choses. Car Tsaradia va aussi disparaitre. Donc, on perd Air Madagascar, on perd une entreprise au nom malgache et on devient une entreprises “sans nom”.

    Certaines mauvaises langues estiment que le gouvernement a coulé exprès la compagnie aérienne par sa fermeture forcée des frontières. Je pense que c’est partiellement vrai, mais les difficultés de cette entreprise dataient bien avant le covid. Parce qu’on parle de la mauvaise gestion et autre, mais on oublie aussi l’habitude des présidents successifs à piocher dans la caisse d’Air Mad pendant des années et c’est aussi les mêmes mains baladeuses dans celle de la JIRAMA. Depuis toujours, les gouvernements ont l’habitude de considérer les entreprises nationales comme leur portefeuille personnel. Au bout d’un moment, ça passe encore ou ça casse. Notre voisin, Air Mauritius, a eu des difficultés financières bien pires, car sa dette s’élevait à 270 millions de dollars. L’Etat mauricien a injecté près de 240 millions de dollars parce qu’il a compris que le sauvetage d’un nom comme Air Mauritius ne se négocie pas. Dommage que l’Etat Malgache n’ait pas la même vision.

    Vu la mécanique qui est en jeu, j’ai peur que dans quelques années, Air Madagascar (moi, je continuerais à l’appeler comme ça) soit vendu à des entreprises étrangères. C’est une technique qu’on a vu des dizaines de fois. On ne fait rien pour sauver les entreprises nationales, on le fait crouler sous les dettes et on les donne pour une bouchée de pain. Mais étant donné que le mot “souveraineté” se retrouve dans chaque phrase de ce gouvernement, espérons que je me trompe.

    Ensuite, l’autre affaire, qui a émaillé les chaumières en terre cuite de la Grande île, est la généralisation de l’ITG ou de l’IMG (Interruption médicale de la grossesse) par une proposition de loi. L’ITG pour Interruption thérapeutique de grossesse est une procédure d’avortement, en cas de malformation grave de foetus ou de problèmes médicaux mettant en danger la santé de la mère. Donc, si vous êtes contre l’ITG, vous êtes un dangereux réactionnaire, portant limite une croix gammée sur votre épaule. J’ai aujourd’hui des positions très conservatrices dans de nombreux sujets. Je considère que la gauche occidentale est dégénérée et qu’elle privilégie des luttes stériles plutôt que la lutte des classes qui n’a jamais eu besoin de la gauche.

    Le fait que le président ait reçu un prix pour son implication dans le planning familial et ensuite quelques semaines plus tard, on a cette loi sur l’ITG qui apparait me semble très suspect. Ce n’est pas un secret de polichinelle que ce gouvernement est progressiste. Vous avez des mots comme “émancipation des femmes”, “éducation inclusive” ou “changement climatique” dans tous les discours gouvernementaux. En oubliant que la société malgache a toujours été matrimoniale tout au long de l’histoire. Je suis contre cette loi sur l’ITG parce qu’elle généralise l’avortement. Car ceux qui veulent massifier cette pratique, utilisent la technique du salami. On fait passer morceau par morceau et le peuple ne comprend pas ce qui lui arrive à la fin.

    N’oublions pas qu’en France, récemment, on a voulu étendre l’ITG jusqu’à 9 mois sous le prétexte de la “détresse psychosociale” (un terme inventé par les mêmes marketeux que ceux qui pensent que Madagascar Airlines symbolisent l’esthétique de la Renaissance) et cette ITG à 9 mois implique qu’on découpe le foetus en morceaux avant de l’expulser même si pour le moment, cela ne reste qu’une proposition de loi.

    Je suis contre l’ITG et même contre l’avortement généralisé alors que je ne suis pas concerné personnellement. Je suis célibataire, sans enfants. Mais Madagascar est un pays chrétien. 95 % de la population est chrétienne et pratiquante. Et en fait, j’ai écouté les différentes voix qui composent la population malgache et à chaque fois, j’ai entendu un NON. Donc, comment le gouvernement ose-t-il proposer une loi qui est rejetée par la majorité. A part les cosmopolites et qui pensent la France (ce sont les mêmes qui font deux vols Tana-Paris par semaine).

    On est d’accord pour dire que la loi sur l’ITG ne va pas réduire les avortements. Donc, elle ne peut que les généraliser. Et pourquoi faire ? La grande idée derrière le fait que les femmes peuvent avorter comme elles le veulent est qu’elles soient libres, que leur corps leur appartient et toutes les fadaises qu’on leur enseigne dans une pensée occidentale qui s’est effondrée. Je pourrais sortir des arguments religieux et théologiques sur l’avortement, mais je préfère passer par la logique capitaliste. On estime qu’une femme avec enfants ne peut plus travailler ou être libre.

    Mais si c’est pour être libre afin de devenir une caissière de supermarché, de vendre des crédits téléphoniques dans un point phone ou d’être une vendeuse à Behoririka, je ne vois pas trop la liberté la-dedans. La position conservatrice contre l’avortement est que cela amène les femmes dans le marché du travail. Cependant, il y a une concurrence sur les salaires puisqu’il y a davantage de personnes pour les mêmes postes et non, la compétence ne sera pas le critère de sélection, mais le salaire le plus bas.

    On nous dit également que l’ITG est soumise à des conditions strictes. Comme avoir l’avis de plusieurs médecins, l’implication de la police (pour les affaires de viol et d’inceste), etc. Mais on parle ici de Madagascar où contre un billet, n’importe quel médecin peut écrire le certificat que vous voulez et je ne parle même pas de la corruption dans la police. Ces garde-fous ne servent à rien. Et on peut aussi dire l’inverse. Les médecins n’avaient pas attendu l’ITG pour pratiquer l’avortement dans le cas où le foetus avait des problèmes ou que la mère était un danger. Tout le point de cette loi est inutile, car elle ne correspond à aucune nécessité… à part de détruire la structure familiale et notre avantage démographique.

    On peut aussi m’opposer qu’il y a trop d’enfants par femme et qu’il faut réduire la population. Certes, Madagascar possède un taux de fécondité supérieure à la moyenne, environ 4 enfants par femme, mais on a aussi une mortalité infantile de 25 % ce qui est énorme et qui ralentit notre démographie. La question de la surpopulation ne s’applique pas à nous, car le pays a une grande superficie et peut supporter beaucoup plus d’habitants. Dans la densité nationale, nous sommes à 43 habitants par km² ce qui est ridicule. Cela signifie que le pays est fondamentalement vide. De nouvelles villes, correspondant aux normes de vie des malgaches et non des éléphants blancs de villes ultra-modernes que personne ne pourra se payer, permettrait de mieux répartir la population, de développer des zones gigantesques inoccupées et de désenclaver ces régions.

    Aujourd’hui, de nombreux pays occidentaux se mordent les doigts pour avoir suivi aveuglement le planning familial, car leur nombre d’enfants par femme est inférieur à leur renouvellement de la population. Et la nature, comme les pays, ont horreur du vide et il sera comblé par les immigrés. Nous n’avons pas de problèmes d’immigration à Madagascar, mais laisser des grandes zones inoccupées les rend vulnérables aux bandes organisées et aux trafics en tout genre. La démographie n’est pas un problème à Madagascar, car depuis 1960, nous avons une chute du nombre d’enfants par femme (nous étions à 7 enfants par femme en 1960). Cela indique que la démographie baisse naturellement et qu’il ne faut pas la brusquer avec des lois stupides comme l’ITG qui feront de l’avortement comme une pratique massive et bénigne.

    Entre la disparition d'Air Madagascar, l'ITG, des carnets biométriques, l'actualité reste chargée, mais ressemble souvent à des illusions pour cacher les vrais problèmes du quotidien.

    L’évolution du nombre d’enfants par femme à Madagascar depuis les années 1960

    Il est intéressant aussi que cette loi est promu par des “porte-manteaux”, des députés sortis de nul part et qui deviennent des experts du jour au lendemain. Le nom de Masy Goulamaly circule beaucoup, une députée indépendante du Sud, soutient cette loi contre vents et marées. C’est une vieille technique de politique où le gouvernement veut utiliser un fusible quand il sait qu’une loi n’est pas populaire. Le nom complet de cette députée est MASY Goulamaly Marie Jeanne d’Arc ! Je pense qu’un nom aussi long montre qu’on a un complexe d’infériorité et je me demande si la Vierge Marie ou Jeanne d’Arc soutiendraient l’avortement. Je pense que non.

    On peut aussi penser que cette loi sur l’ITG est là pour faire diversion. Malgré les promesses du gouvernement, les prix ne baissent pas. Les PPN enregistrent parfois des hausses de 50 à 80 % et malgré l’importation de denrées à bas prix par le gouvernement, eh bien, cela ne marche pas. Et cela montre toute la naiveté de ce gouvernement. Et ce n’est pas la première fois que je vois ça. On dirait que le gouvernement pense que le peuple est des colonnes Excel où lorsqu’on tape une formule, on obtient des résultats mathématiques précis. Mais le peuple ne veut rien dire. L’intérêt de l’épicier, qui est content de la flambée des prix, est le même que le grossiste qui pourra s’acheter une nouvelle voiture tous les mois et qui n’est pas content que le gouvernement se mêle des prix de SES produits. La seule manière de se faire respecter est des sanctions et quelques emprisonnements des grossistes ou distributeurs qui ne jouent pas le jeu.

    Le problème du gouvernement malgache actuel est qu’il s’inspire de l’Occident alors que le futur est asiatique. Plutôt que d’écouter des politiques et des institutions occidentales qui ont détruit leur propre peuple, il ferait mieux de s’inspirer de la Chine, du Japon, de la Corée du Sud ou encore de la Russie. Cette dernière étant un modèle de souveraineté dans tous les domaines.

    Le fichage du monde est en marche et si on ne peut pas l’imposer par la vaccination dans les pays pauvres parce qu’ils s’en foutent, on le fera par d’autres moyens comme la numérisation. Grand projet du gouvernement, les nouveaux carnets de fokontany ont été lancé (appelés carnets biométriques), QR Code et tout le tintouin à l’appui. J’ai reçu le mien, ils ont à la fois mal orthographié mon prénom et mon nom, autant dire que la précision des informations laisse à désirer. Mais un monde où la souveraineté numérique est devenue cruciale, je reste inquiet sur cette numérisation à outrance de toute la population malgache.

    Certes, il faut numériser une grande partie de l’administration et cela fait partie de la marche du monde, mais qu’en est-il des données ? Où seront stockés ces données et quelles sont les garanties de sécurité ? Les données numérisées de toute la population est une belle manne pour les multinationales qui veulent toujours plus de moyens pour nous traquer dans les moindres détails et aucun citoyen ne devrait se sentir à l’aise avec ça. Je me souviens de cette allocution présidentielle en 2020 où il citait l’exemple que des policiers dans une voiture, pourraient simplement scanner l’adresse d’une maison par un téléphone et avoir accès aux informations de ce carnet biométrique. Une possibilité qui ne m’a pas du tout rassuré.

    Toutes ces péripéties ces derniers mois, montre que Madagascar continue d’avancer, mais les résistances sont longues et dures. Le gouvernement malgache a bien géré la crise du covid, c’est un réalité. Mais dans beaucoup d’autres domaines, il devrait comprendre que gouverner n’est pas d’aligner des données sur une colonne Excel pour avoir des résultats magiques.

    Madagascar : Entre crises perpétuelles et espoirs sans lendemain

    Si dans les cartes postales, Madagascar possède une image idyllique, faisant baver les occidentaux qui respirent de la brique à longueur de journée, la réalité est toute autre. Pauvreté, misère, famine, corruption, népotisme, autant de mots qui sont coupables des maux malgaches.

    Houssen Moshinaly

    Rédacteur web depuis 2009 et webmestre depuis 2011. Je suis également un blogueur dans la vulgarisation scientifique et la culture.

    Je m'intéresse à tous les sujets comme la politique, la culture, la géopolitique, l'économie ou la technologie. Toute information permettant d'éclairer mon esprit et donc, le vôtre, dans un monde obscur et à la dérive. Je suis l'auteur de deux livres "Le Basilic de Roko" et "Le Déclin".

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