Est-ce qu’on aura un vrai Joker, un jour ?
Le Joker de Joaquin Phoenix manque de nombreux points en étant un bon film. Mais est-ce que le Joker est seulement adaptable au cinéma ?

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Ma première critique du Joker fut dure en estimant que le film avait raté tous ses aspects. Mais maintenant, je regarde le film à plusieurs mois intervalle pour voir si cela change quelque chose. Et puis, faire une analyse dans une salle blindé, avec des hurlements et des ricanements de midinettes, c’est comme dire Ave Maria dans un concert de Black Metal… c’est compliqué. Mais malgré le recul, je continue à penser que le Joker de Joaquin Phoenix est mal foutu. C’est un excellent film sur un malade mental, qui tente de survivre dans une société aussi cinglée que ses propres neurones. Mais le Joker est bien plus que ça.
Comment décrire le Joker ?
Le pitch du Joker est assez simple. On a Arthur Fleck, humoriste/clown un peu raté, qui tente de se faire une place dans le Show Biz. Il a des maladies mentales, notamment une qui le fait parfois rire sans aucune raison. Il y a plusieurs personnages qui vont graviter autour de lui pour en faire le Joker. L’animateur de télé, incarné par Robert de Niro, sa mère, Thomas Wayne qui sera montré sous un autre jour. La blackette qui est sa voisine, etc.
Beaucoup de pétasses féministes 2.0 ont considéré le Joker comme une célébration d’Incels alors qu’il arrive à se faire la blackette. Un Incel, par définition, ne baise jamais. Ce qui à leur yeux, considère tous les malades mentaux, les agoraphobes et les asociaux, comme des Incels fascistes. Intéressante façon de voir le monde. Le Joker a eu du succès parce que c’est un film qui reflète le malaise général (réel ou imaginaire de notre temps). On peut s’identifier à lui.
Mais dans ce cas, on pourrait aussi s’identifier à Trevor Reznik, interprété par Christian Bale (Batman Dark Knight) dans The Machinist, un film dont les images me hantent encore. Cette fatigue lourde et pesante de notre monde sur nos épaules. Arthur Fleck est le citoyen normal qui enrage intérieurement contre les puissances qui le broient, mais contre lesquelles il est impuissant. Mais le Joker est la folie incarnée.
Une folie à l’état pure n’a pas de raison d’être, ni d’âme. Il peut faire aider une vieille à traverser la rue comme l’égorger avec le sourire. Le Joker est fou à lier et il le restera jusqu’à la fin des temps. Il a toujours été fou et il continuera de l’être. Et il est difficile d’adapter une abstration aussi fracassante de la psyché humaine dans un film. On peut s’en rapprocher, mais on ne peut pas jouer la folie pure. C’est pourquoi dans les Comics, le Joker est unique en son genre et c’est pour ça aussi qu’il est un digne adversaire de Batman.
Le Joker qui a effleuré la folie pure
Il y a un Joker qui se rapproche de la folie et c’est le personnage de Jerome Valeska, interprété par Cameron Monaghan dans la série Gotham. Il est tellement explosif qu’il n’a que des rôles récurrents, car tout le monde fait pâle figure à coté de lui. C’est quelqu’un qui aime sa folie et s’en nourrit et il ne doit rien à personne. Il ne porte pas de jugement et alors que Gotham est un chaudron bouillant des pires merde humaines, son apparition fait pisser tout le monde dans son froc, car il est capable absolument de tout.
Le Joker du chevalier noir est plus subtil, mais il s’inscrit dans la lignée de notre Joker d’Arthur Fleck. Mais c’est quelqu’un qui a décidé de foncer dans le tas. Pendant une grande partie du film, Arthur Fleck est un gentil garçon qui cherche de l’aide pour sa maladie mentale et qui fait ce qu’on lui demande. Tout le monde lui marche sur les pieds. Mais il a fallu l’iconographie principale dans la scène du métro et l’espèce de petite danse qui s’ensuit, pour qu’il comprenne un peu. Dans ces rares scènes, on voit que Joaquin Phoenix se rapproche de la folie pure comme le diamant du Joker, mais cela reste avant tout un être charnel.
Le Fight Club de notre génération ?
D’autres ont considéré le Joker comme le Fight Club de notre génération. Rien de plus faux. Car la critique du système dans le Joker est brute de décoffrage, proche du niveau.”Il faut tuer les riches !” Ce n’est pas comme ça qu’on renverse le système. Dans Fight Club, le mec était aussi cinglé, mais il prend le pouvoir de manière méthodique et machiavélique, infectant toutes les arcanes du pouvoir. Ici, on a simplement un déversement de violence. Si on en fait une réalité et que les gens se mettent à tout casser et à tuer tout le monde, le gouvernement enverra simplement l’armée (ou même pas, des drones suffiront) et puis, basta !
Après, c’est une folie meurtrière, comme une éjaculation de violence et de rage, face à une oppression systématique. On a juste envie d’envoyer tout balader. Et cette scène dans le métro où Fleck fait ses premiers victimes est assez fantastique. Car il suffit qu’on essaime un peu de folie, que même le mec en costard le plus coincé, se met à devenir un avatar d’American Psycho. Il faut peu de choses pour que tout le monde pète les plombs.
Les Waynes
Etant donné que c’est censé être une histoire de l’origine du Joker, alors on peut tout faire. Et le parti pris sur les Waynes est plus que bienvenu. On en a marre de cette image idyllique de Wayne dans les Batmans. Ici, on nous montre quelqu’un qui est peut-être un violeur et quelqu’un qui aime tester la castagne sur le genre féminin. Cela explique bien des choses, car comment un rejeton peut avoir l’idée de s’habiller en chauve-souris s’il n’y a pas un problème génétique quelque part ?
Toutefois, le coup de la mère, je ne m’y attendais pas du tout. Etant donné que malgré mes 35 ans et plus, je reste toujours un garçon à ma maman (alors qu’elle est partie pour un monde meilleur), j’ai eu un gout amer en disant que même cet être qui semblait doux, a enfoncé Arthur Fleck dans une tombe pourrissante pour en faire émerger un mort-vivant qui restera le Joker à jamais. Une scène où l’ange clown atteint le septième ciel de la folie est l’espèce de rage qui s’empare de lui, contre son gros collège de travail, venu le voir après la mort de sa mère.
En soi, le gros était plutôt bon avec lui. Mais le Joker s’acharne sur lui et il épargne le nain qui l’accompagnait en disant qu’il a toujours été gentil avec lui. La douceur d’un vieil ami de longue et un mec qui te fait une coiffure bien rouge avec ses ciseaux au niveau de la poitrine. Il y a des minutes dans ce film où il est devenu le Dieu de la Folie qu’il espérait devenir. La scène où il tue l’animateur de télé est jouissif. Mais le petit Robert l’a bien cherché. C’est plutôt raté comme mise en scène, car c’est exagéré. Comme si une pancarte disait : Allez tue-le, ce gros connard. Et on aurait tous fait pareil.
Une haine factice contre le système
L’interprétation de Joaquin Phoenix est plus que correcte. Mais dans certains passages, on sent que ça sonne faux. Comme une bonne partie du message concernant la critique du système. Et je pense que le coupable est également Todd Philips, le réalisateur. Todd Philips est surtout connu pour ses comédies comme Road Trip ou Very Bad Trip même s’il a fait un joli coup avec War Dogs qui est un thriller.
C’est un Yes Man (terme d’un réalisateur qui fait simplement ce que lui dit le studio et le producteur) et il n’a absolument pas la carrure pour s’attaquer à un monstre de symbolisme qu’est le Joker. En fait, en regardant le Joker, t’as l’impression que c’est un riche qui imagine la critique du système par un pauvre. Comme il ne voit que par le prisme de la haine des pauvres via les médias, le scénariste pense que les pauvres sont juste bêtes et méchants.
Qu’en fait, on veut juste tuer tout le monde. La haine que j’ai contre le système est 1 000 fois plus terrible que ce que pourrait imaginer le Joker dans ses pires tortures. S’ils pensent que tuer un animateur télé et faire quelques pogroms bien sentis, suffiront à nous calmer, alors on peut dire qu’ils ont raté toute la saison. Derrière le massacre, on a des théories politiques différentes, des approches radicalement opposées pour faire un autre système. Le massacre des riches, c’est juste un petit bonus bien jouissif.
Et il y a très peu d’oeuvres qui réussissent à illustrer cette colère sourde, mais tonitruante des plus pauvres. Le Joker n’y arrive pas et je ne pense qu’on laisserait passer une telle oeuvre. Après tout, le popcorn et les boissons gazeuses doivent se vendre en priorité. En conclusion, Joker est un excellent film sur un gars qui pète un plomb et qui incite tout le monde à faire de même. Mais ce gars n’a pas encore compris ce qu’était le Joker et je ne pense pas que quelqu’un puisse le comprendre un jour.