Au nom du père d’Ad Astra
Ad Astra est un film qui transcende la relation père-fils aux confins du système solaire. Une oeuvre maitrisée de bout en bout qui donne une bouffée de fraicheur pour les fans de SF.

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Ad Astra, sorti en septembre 2019, n’a pas reçu des avis unanimes. Evidemment, quand on est habitué à des productions Disney qui font piou-piou, en allant à 100 à l’heure pour éviter que le cerveau n’analyse la stupidité de ce type d’oeuvre, Ad Astra peut paraitre un extra-terrestre. Mais c’est de loin l’un des grands films du genre que j’ai vu ces derniers années. Avant de voir Ad Astra, il faut comprendre toutes les oeuvres de son réalisateur, James Gray, qui tournent autour de la famille. The Lost City of Z en 2016, avec une histoire familiale, s’inspirant du cinéma grandiose et classique. Et The Immigrant en 2013, qui tourne autour de deux soeurs.
Un système solaire coca-cola
De ce fait, attendre que James Gray fasse un film de SF qui plaira aux débiles profonds de piou-piou, c’est comme demander à des Youtubeurs de faire un vrai métier, les deux sont incompatibles. Et avec Ad Astra, Gray nous propose un film maitrisé de bout en bout. Je craignais que la relation père-fils soit centrale et que l’aspect SF soit simplement une toile de fond, mais ce sont bien des éléments à part entière. Secondaires certes, mais clairement bien racontés.
Le film tourne autour de Roy McBride interprété par Brad Pitt et H. Clifford McBride interprété par Tommy Lee Jones et on utilisera surtout le nom des deux acteurs par facilité. Dans un futur pas si lointain, l’humanité commence à conquérir le système solaire. On a des villes sur la lune, des bases sur Mars et on commence à aller dans l’espace profond. Et pour répondre à l’éternelle question de savoir si nous sommes seuls dans l’univers, Tommy Lee Jones part dans une mission appelée Lima à coté de Neptune.
Il y va pour établir une station afin de découvrir des signaux extra-terrestres. La mission dérape pour une raison, expliquée plus tard dans le film et Tommy Lee Jones est portée disparue. Toute la colonisation spatiale est gérée par une entreprise appelée Spacecom et le nom n’est clairement pas un hasard. Quand on voit les ambitions d’une certaine entreprise commençant par Space.
Un fils à la dérive
Sur Terre, Brad Pitt n’a pas vu son père depuis 16 ans, mais il est devenu un astronaute accompli. L’un des meilleurs de sa génération. Au début du film, on a une scène où il est sur une station autour de la terre, et qui se prend une surcharge électrique. Pitt tombe et les mesures montreront plus tard que son coeur ne s’est même pas emballé, alors qu’il était en chute libre. Ce n’est pas le genre à se teindre les cheveux en bleu, si tu veux.
Mais c’est un homme qui est profondément seul. Il vit dans l’ombre de son père qui est considéré comme un héro par tout le monde. Une image parfaitement construite par Spacecom.
On l’appelle pour lui expliquer que l’origine de la surcharge vient de Neptune. Et attention, ce n’est pas une surcharge, du genre, à faire sauter le disjoncteur du quartier. Non, c’est le genre à tuer 42 000 personnes. Après, Ad Astra ne détaille pas vraiment le comment de la surcharge. Mais on nous glisse que la station Lima (sur Neptune) utilisait un truc à base d’antimatière et que ça a pété. Mais on n’en sait pas plus.
Le film s’inspire des sursauts d’ondes radio qu’on détecte parfois et qui sont d’une puissance inouie. Mais l’humanité n’a pas les moyens pour en créer, car leur puissance est telle qu’elle pourra griller la Terre comme un toast. L’élément scénaristique est plutôt bien utilisé.
On apprend donc que Tommy Lee Jones pourrait être en vie et que c’est lui qui provoquerait les surcharges. On envoie le petit Brad Pitt en mission secrète pour aller sur Mars, afin d’envoyer un message au papounet pour lui dire d’arrêter ses conneries, car la Terre risque d’être un barbec géant s’il continue.
Une lune comme le Moyen-Orient
Donc, notre Brad va sur la lune. Notre satellite naturel est le théâtre d’affrontements et de commercialisation à outrance. Et c’est une véritable oeuvre d’anticipation que Gray nous propose avec Ad Astra. Parce oui, on nous balance des discours dégoulinant de bisounours sur la colonisation spatiale, mais ça va être une colonisation à l’ancienne, car que ce soit l’Occident ou la Chine, tout le monde veut mettre la main sur les ressources. Le monopole est détenue par Spacecom qui fait la pluie et le beau temps. Il y a des territoires officiels, mais on a aussi des bandes de rebelle qui vous attaquent pendant que vous traversez la mer de la Tranquillité sur votre buggy lunaire.
Sur ce plan, Ad Astra nous montre un futur où les guerres terrestres sont immédiatement se superposer au cosmos, car si on n’est pas foutu de s’entendre sur notre propre planète, bien mal nous prendrait de se donner la main quand on a l’univers comme terrain de jeu. Il y a très peu d’œuvres qui montre la commercialisation de l’espace à part Total Recall, même si ce dernier est une caricature à la sauce Yankee.
Le talent de James Gray est la subtilité du message. On a une dépiction très lucide de la colonisation spatiale, mais en évitant de mettre une grosse pancarte pour que les débiles profonds comprennent et disent : Ahhhh ! c’est donc ça. Chaque scène met en évidence des Gimmicks du réalisateur.
Deux âmes désespérées
Comme d’habitude, Tommy Lee Jones et Brad Pitt nous offrent une prestation majestueuse. Des acteurs, capables de se glisser dans la peau de leur personnage comme une anguille dans une mer cristalline tout en s’adaptant à leur âge. Vous pouvez regarder Ad Astra sur plusieurs plans. Comme un monologue de Brad Pitt et son regard lucide et cynique sur le monde. Ses questions éternelles sur son père et on comprend cette vérité déchirante que le père et le fils sont à la dérive dans leur monde respectif.
De la lune, Brad Pitt va aller sur Mars pour envoyer le message. Après plusieurs tentatives, on lui dit qu’il doit retourner sur Terre. Comprenant que son père a répondu, il décide de monter en force vers la fusée, partant sur Neptune. Ça dérape et les autres passagers meurent. Brad est complètement seul, à la recherche de son père.
Dans cet acte du film, on sent également une maitrise scientifique de la part de James Gray. Cette maitrise n’est pas l’élément central, mais plutôt un genre de bon sens sur ce que sont les voyages spatiaux, notamment de longue durée. Pendant toute la traversée vers Neptune, Brad va perdre quasiment la raison. Quand on rêve de voyages cosmologiques, on ne se rend pas compte de la solitude qui en implique.
Ad Astra nous le montre de façon éblouissante, car même un mec aussi robuste que Brad peut perdre la boule, alors je ne vous raconte pas le sort qui nous attend, pauvres décérébrés que nous sommes.
Sommes nous seuls ?
Le fils arrive sur Neptune et découvre que son père est en vie et qu’il a complètement perdu la boule. Il n’est pas à l’origine de la surcharge, mais il essai de les réparer. Tommy Lee Jones est obsédé pour trouver des signaux extraterrestres. Sans doute la meilleure scène du film est le premier contact. Jones en haut et Pitt en bas. Et le père nous dit : J’ai passé 30 ans sans la terre et elle ne m’a jamais manqué. Pitt répond : Je sais. Cette scène est absolument sublime. Car cela implique que la famille n’a jamais compté pour le père.
Mais au lieu de nous montrer une caricature de père, totalement égoïste, la réponse de Pitt nous fait savourer un respect mutuel démentiel entre les deux hommes. C’est juste comme ça. Pas de jugement, pas de pleurniche, juste une relation père-fils entre adultes. Ad Astra nous dit que Non, il n’y a pas de signaux extraterrestres. Et certaines critiques, complètement débiles, nous disent que la fin aurait dû être plus ouverte.
Voilà bien une réflexion de péteux et de pétasses qui n’ont jamais compris le propos du film. La vie n’existe pas dans le système solaire et même dans le voisinage. Mais cela n’exclut aucunement une vie ailleurs dans l’univers, mais que nous ne pourrons jamais contacter.
Tommy Lee Jones a passé 16 ans à les chercher et il n’a rien trouvé. Et ce n’est pas décevant, c’est juste qu’il n’y a rien autour de nous. Mais est-ce suffisant pour désespérer ? Dans le cadre de l’histoire du père et du fils, Ad Astra nous assène une vérité qu’on peut tout sacrifier pour un rêve, mais ce dernier sera aussi froid et vide que Neptune. Le père a perdu la raison, dans une telle plongée, mais cela reste une fin très optimiste. Le fils tente de ramener le père, mais en vain.
Une direction artistique digne d’un peintre
La direction artistique laisse rêveur tellement elle est sublime et maitrisée. On nous montre des plans majestueux des planètes géantes. Mais surtout, la modélisation de Neptune, mais également des anneaux de Saturne est modélisée comme un tableau de maitre. On ressent l’immensité, le froid abyssal, l’écrasante omnipotence du cosmos face aux petits hommes qui tentent de le conquérir.
Les images en haut définition sont tout simplement superbes et je n’ai pas vu une telle vie dans la direction artistique depuis très longtemps. C’est comme d’immenses toiles de peintres de légende sur lesquelles l’histoire père-fils d’Ad Astra vient doucement se déposer comme une feuille, en laissant une marque dans la longue course de l’homme vers la conquête du firmament.
Ici gît l’espoir
Cela fait bien longtemps qu’un film ne m’a autant marqué comme Ad Astra. Tout est agencé, sublimé dans les moindres détails. L’omnipotence de la déchirure père-fils ne sacrifie pas les éléments scientifiques, géopolitiques ou artistiques. Tout est bien calibré pour nous donner une oeuvre qui est digne d’un grand réalisateur.
Ad Astra restera un grand film, le genre qui peut nous faire découvrir la science-fiction d’une autre manière. Le film peut se lire de différentes façons. Une critique du travail forcené, pour aucun objectif au final, une méthodologie corporatiste qui aliène les plus sains d’esprit parmi nous. Cependant, le message le plus banal et le plus essentiel est que l’espoir git sur Terre, en vivant les choses les plus banales et en donnant un vrai sens à sa vie plutôt que d’aller se perdre dans les glaces éternelles de l’espace. Mais clairement, ce n’est pas un film pour les fans de piou-piou.