On peut dire une chose est que les opérateurs telcos ont littéralement détruit le secteur bancaire classique. Ce dernier ne s’est pas adapté aux réalités de la population, à savoir que moins de 5 % ont un compte bancaire. Le mobile money a été une manne d’or pour Telma, Orange ou Airtel et c’est normal qu’ils aient lancés il y a quelques années des prêts bancaires avec Mvola Avance et M-Kajy.
Le principe est que vous pouvez tout faire à partir de votre téléphone, pas besoin d’aller en agence et les fonds sont débloqués dès que vous êtes éligible. Dans les deux cas, Orange et Telma, il faut régulièrement utiliser leurs services de mobile money, genre quotidienne ou hebdomadaire pendant 3 ou 4 mois.
Telma est plus facile d’accès plutôt que M-Kajy, car ce dernier passe par un organisme de prêt appelé PAMF. Dans ce dernier cas, quand vous faites la demande, ils vous demanderont d’envoyer votre numéro de CIN (ce dernier détail est important) et ensuite, ils vous diront s’ils acceptent ou non. Il faut faire plusieurs tentatives avec M-Kajy tout en utilisant régulièrement Mobile Money.
Dans ses publicités, Mvola et M-Kajy vous disent fièrement qu’ils peuvent vous prêter jusqu’à 1 million d’ariary… N’y comptez pas. Le premier montant sera de 20 000 ar et si vous remboursez à temps, alors cela augmentera au fil du temps. Le délai de remboursement est de 30 jours et le taux d’intérêt est de 9 % et c’est là que le bat blesse.
Car ces deux services se présentent comme du microcrédit. A la base, le microcrédit a été créé au Bangladesh afin de donner accès à des prêts bancaires aux personnes les plus pauvres. L’économiste indien, à l’origine de cette idée, a même reçu le prix de la Banque de Suède (appelé à tort le prix Nobel), même si par la suite, le microcrédit a été totalement pervertie de son objectif premier et aujourd’hui, il sert à maintenir les populations pauvres dans un état de survie permanente où elles passent leurs temps à payer leurs dettes plutôt qu’à se libérer financièrement.
Le microcrédit a une caractéristique principale, c’est que son taux d’intérêt est très faible. Autour de 1 à 4 % en France alors que celui de Mvola Avance et de M-Kajy est de 9 %. Pour un taux d’intérêt, c’est exorbitant et surtout, le délai de remboursement de 30 jours est trop court pour qui que ce soit. En fait, je ne connais pas de crédit bancaire qui vous demande de rembourser en aussi peu de temps. Quand vous combinez ces deux ingrédients, un taux d’intérêt exorbitant et un délai de remboursement très court, alors vous créez une spirale de dette rapidement infernale.
Parce qu’à la limite, le montant emprunté, vous pouvez le rembourser, mais ce sont ces 9 % qui vont vous asphyxier et au moindre retard de paiement, les pénalités sont doublés et vous êtes fichés comme “Interdit bancaire” à la Banque centrale de Madagascar. Ca m’est arrivé. Et si ça s’aggrave, alors votre CIN que connait Telma et Orange seront intégré dans cette fiche et vous ne pourrez plus obtenir un crédit où que ce soit dans le pays, car vous êtes un “client à risque”.
Certains débiles diront qu’il ne faut pas jamais prêter à quelqu’un qui a besoin d’argent. C’est une phrase idiote des néolibéraux, car elle n’a aucun sens. Seuls des gens, ayant besoin d’argent, peuvent emprunter, ils ne sont pas cons. Comme j’ai d’énormes difficultés financières en ce moment, j’ai pu emprunter 170 000 ariary en aout 2023. Je pensais que le mois de septembre allait me donner quelques pépettes, pour me permettre de rembourser, mais manque de pot, la situation fut bien pire.
Donc, si on calcule le taux d’intérêt de 9 %, cela fait 15 900 Ar à rembourser pour un total de 185 300 Ar. Mais comme je n’ai pas pu rembourser, c’est monté à plus de 215 000 ariary à la fin d’octobre 2023 et j’étais fiché à la Banque centrale (il vous suffit de rembourser pour être supprimé de la limite). Au total, j’ai dû rembourser 45 000 ar en plus de mon prêt initial ce qui équivaut à 26 % de taux d’intérêt en l’espace de 2 mois. On n’est même pas dans la caricature du juif usurier, on est bien pire ! Et je ne vous parle pas des nuits blanches et des jours angoissés qu’on passe à chaque jour qui passe, car on voit l’étranglement invisible qui vous tue à petit feu. Et dès que vous avez de l’argent, la totalité va servir à la destruction monétaire dans le remboursement et vous vous retrouvez plus fauché qu’auparavant.
On pourrait me dire que c’est normal, car cela compense la facilité d’accès et le risque d’impayés. Comme tout est dématérialisé, il y a forcément des gens qui ne vont pas payer et qui vont se barrer. Déjà, c’est très difficile puisque vous n’avez pas accès à une SIM sans identité vérifiée. De plus, la sanction s’appliquera dans tous les cas, car j’ai été interdit bancaire dès le premier défaut de remboursement. Après l’interdit bancaire, vous pouvez avoir des poursuites judiciaires et des saisies. Donc, cela ressemble à un prêt bancaire même s’ils ne le disent pas ouvertement et donc, les lois sur la protection des emprunteurs doit s’appliquer.
Mais quand on voit le taux d’intérêt maximal à Madagascar peut atteindre les 40 % (source : Banque Mondiale), alors il est normal qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent et cela explique la pauvreté extrême. Un crédit avec des taux d’intérêt bas est le signe d’un pays prospère. Et le gros problème avec Mvola Avance et M-Kajy est le délai de remboursement plus que le taux d’intérêt.
Si on avait 3 ou 6 mois de délais, on pourrait pallier les imprévus et rembourser au fur et à mesure. Et enfin, c’est le pire des mondes puisqu’on ne rembourse pas une mensualité, mais la totalité du crédit. Bien sûr, vous pourrez rembourser partiellement, mais toujours dans le délai de 30 jours ce qui est stupide et criminel. Pourquoi utiliser des flingues pour braquer une population alors qu’on peut le faire par la finance ?
Si on parle des délais de remboursement du microcrédit dans des pays normalement constitués, alors on a entre 6 à 24 mois pour le microcrédit personnel et 36 à 48 mois pour le microcrédit professionnel. Ce dernier est particulier, car il concerne des grosses sommes pour lancer une entreprise et c’est vrai que la version professionnelle du microcrédit possède des taux d’intérêts élevés. Mais la différence est que la somme disponible est très élevée dès le départ, mais qu’on bénéficie d’un délai de remboursement de plusieurs années.
En fait, Mvola Avance et M-Kajy combinent le pire des pires crédits et le proposent sous le déguisement de la facilité parce qu’il n’y a personne pour leur taper sur les doigts.
Il n’y a qu’un seul type de crédit qui peut justifier des taux d’intérêt très élevé pour des prêts personnels et c’est le crédit renouvelable. On nage entre 10 à 20 % de taux d’intérêt en ce qui concerne la France. Mais ce crédit est particulier puisque vous avez toujours une somme d’argent disponible, renouvelable à volonté en payant vos mensualités.
Comme vous avez de l’argent constamment disponible, c’est “normal” de payer des taux d’intérêts élevés. Même si aujourd’hui, on sait que ce crédit renouvelable est une véritable abomination et il a contribué à faire exploser le surendettement en France puisqu’il suffit qu’un gros pépin vous arrive, que vous ne payez pas les mensualités et vous devez tout rembourser d’un seul coup avec le taux d’intérêt qui est variable.
Cependant, Telma et Orange compensent et profitent du vide abyssal du secteur bancaire classique qui est mieux régulé. Comme il ne s’est pas adapté à la faible bancarisation du pays, des services concurrents peuvent imposer des conditions insoutenables. Comme j’ai l’habitude de dire, les financiers sont des escrocs dans leur forme finale. Des vautours et des charognards en costard-cravate, mais ils n’en pas reste moins des spécialistes du racket et de l’exploitation des autres. C’est à l’Etat d’intervenir pour légiférer sur ces secteurs. Vu les sanctions qui pèsent sur l’emprunteur en cas de non-paiement, il faut des protections en acier trempé éviter les abus qu’on peut avoir avec les services actuels.
Déjà, imposer des délais de remboursement plus longs avec le paiement de mensualité, si nécessaire, plutôt que tout le crédit. Si j’avais eu la possibilité de rembourser mon prêt de 170 000 ar en 5 ou 6 fois, je m’en serais sorti. Ou si on veut imposer un délai de remboursement de 30 jours, alors il faut imposer le taux d’intérêt du microcrédit, soit autour de 1 % puisque ce délai express compense le risque de perte. On peut aussi avoir plusieurs paliers de sommes qui donnent accès à des délais plus ou moins long. Par exemple, pour moins de 40 000 ar, vous pouvez demander 30 jours, mais au-delà, vous devez proposer 3 ou 6 mois.
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